ACTU'entreprise invite Marilène Garceau, Directeur associé de la société Kennedy Garceau, pour échanger sur la gestion des projets de mobilité professionnelle.
Échange avec Eric Motillon, fondateur-dirigeant du cabinet Human First, spécialiste de la rubrique Human Research : Toute l’actualité RH de le WebTV ACTU'entreprise.
Entrevue disponible sur www.actuentreprise.com
Éric Motillon : Bonjour et bienvenue à l’hôtel Chateaubriand, Paris 8e. Aujourd’hui nous allons traiter d’un sujet international passionnant : la gestion de la mobilité professionnelle à l’international, et plus particulièrement entre la France et le Canada. Nous recevons aujourd’hui Mme Garceau.
Mme Garceau bonjour.
Marilène Garceau : Bonjour
EM : Vous dirigez le cabinet Kennedy Garceau, spécialisé dans la mobilité professionnelle entre la France et le Canada. Vous avez quinze ans d’expérience dans des postes en management, notamment dans la gestion de projets à caractère international mais surtout dans la stratégie d’entreprise. Vous êtes diplômée d’HEC Montréal, de l’ESSEC, partenaire d’acteurs internationaux tels IBM, Cap Gemini, CGI Canada pour citer une grande entreprise canadienne, et vous aidez l’entreprise dans la gestion de ses salariés expatriés. Donc aujourd’hui dans tout ce qui est effectivement mobilité et recrutement, pour faire face notamment aux pénuries de compétences notamment au Canada, je voudrais comprendre, dans le cadre de l’internationalisation de l’entreprise, quels sont les sujets prioritaires dans la gestion des ressources humaines.
MG : Ce qui est intéressant, c’est lors d’un déploiement à l’international les entreprises se concentrent beaucoup sur l’étude de marché, les fournisseurs, les prochains bureaux et tout ça et mettent souvent en second plan les aspects de déploiement des ressources humaines. Sachant que le ou les salariés qui partiront à l’étranger sont au cœur du projet, il est très intéressant de prendre en compte cette gestion de la personne, de l’acteur clef, …
EM : …de l’humain…
MG : …de l’humain, dans le cadre d’une expatriation classique. Dans le déploiement, la ressource est vraiment clef et malheureusement souvent prise en deuxième lieu ou très peu prise en charge.
EM : Cela veut dire que vous apportez à cette problématique, enfin à la réponse à la problématique, une gestion interculturelle également, je suppose.
MG : Tout à fait… qui est super importante parce que les méthodes de vente, donc ce qu’on appelle ici le commercial, se définissent, se pratiquent de façon complètement différente dans les pays anglo-saxons par exemple. Donc, d’expliquer les modes d’approche, le réseautage, tous ces aspects-là, c’est super intéressant ; et cela permet aussi de comprendre parfois après une rencontre pourquoi cela s’est mal passé. C’est souvent à cause d’une mauvaise compréhension. Au Québec, on a le gros problème de dire « je suis Français, donc il n’y aura pas de problème, c’est la même langue ». Mais le Québécois n’est pas français, il est plutôt américain et parlant français.
EM : Il est surtout un homme ou une femme capable de donner pour recevoir, ce qui n’est pas forcément l’évidence de nos concitoyens français.
Je le dis puisque je suis français, je prends cela à ma charge.
Euhmmm… Aujourd’hui, la prise en compte du contexte global du salarié est importante, mais quel est le profil idéal d’un candidat à l’expatriation ? Parce qu’on a vu qu’il y avait des différences culturelles, des différences comportementales, il y a le cycle de vente, sans parler de techniques commerciales aujourd’hui, mais le cycle de vente est totalement différent. D’ailleurs beaucoup de grandes sociétés françaises mettent en place et mettent en œuvre des formations au commerce venues des États-Unis. Quel est le profil idéal de ce candidat à l’expatriation ? Comment on fait pour s’assurer de son adéquation humaine et stratégique ?
MG : Ce qui est intéressant c’est qu’il n’y a pas de profil type. Chacun a ses forces qu’il peut exploiter à l’étranger.
EM : C’est vraiment humain ça !
MG : C’est effectivement très humain. Nous aimons bien travailler avec l’intelligence culturelle. L’intelligence culturelle ce que c’est, c’est de positionner une personne à un moment X, aujourd’hui, avant son départ, de comprendre son savoir, son savoir-faire et son savoir-être, et d’apporter un équilibre sur ces points-là.
EM : J’adore entendre cela !...
MG : … ces points-là qui sont nécessaires dans le pays d’accueil.
On va prendre un exemple sur le mode de communication. Les Français ont une culture de la communication plus écrite, les anglo-saxons, les canadiens, plus à l’oral. Donc, que va-t-il se passer en situation de tension lorsqu'un dirigeant français veut faire avancer ses équipes québécoises ? Bah là, il va peut-être agir en envoyant des courriels, et après cela en réalisant que les choses ne sont pas faites. Donc il y a de la frustration qui se génère et tout. Alors, c’est en travaillant sur l’intelligence culturelle avant même le départ de la personne, on peut l’aider à identifier les signaux et après cela ajuster sa ligne de tir pour pouvoir arriver à ses fins.
EM : Là en fait, ce n’est pas simplement le dirigeant, je pense, que c’est, si on parle de commerce qui est une fonction marketing, qui est une fonction totalement transverse, c’est tout le comité de direction qui doit être impliqué sur ce type de prise de décision.
MG : Oui, et ce qui est intéressant c’est que dans le projet le plus merveilleux, lorsque l’on intègre la diversité au sein d’une équipe, ce n’est pas que la personne qui arrive qui doit faire cet exercice de l’intelligence culturelle, mais aussi les personnes dans l’équipe locale, qu’elles soient de la direction ou qu’elles soient dans l’opérationnel. Dans l’idéal, on aime bien travailler sur toute l’équipe, et [que] là chacun comprenne comment les autres perçoivent ? Et là, cela fait une intégration complète, pas juste l’intégration de l’étranger qui arrive dans les équipes.
EM : Alors est-ce que la dimension féminine est une vraie valeur supplémentaire pour traiter du bien-être en fait à l’international ? Je vous pose la question parce que vous êtes une femme.
MG : Cela dépend dans quel pays, cela dépend de la perception des collègues. Nous avons des expériences de Canadiens qui viennent en France se retrouvant chef d’une équipe masculine, les comportements ne sont pas du tous les mêmes.
EM : Donc on en revient au comportement, ça n’a finalement aucune incidence.
MG : Tout à fait.
EM : Aujourd’hui, outre le choix d’un salarié expatrié quels sont les autres aspects à prendre en compte dans la gestion d’une mobilité professionnelle ? Comment est-ce que l’on va décliner cette mobilité par rapport au plan stratégique ? Comment on va faire pour formaliser ce choix à l’expatriation ?
MG : Il y a le choix, mais il y a aussi la mise en œuvre. C’est-à-dire que, soit le salarié s’est porté volontaire et là on peut regarder l’intelligence culturelle pour voir si c’est la bonne personne. Ensuite, c’est la mise en œuvre, transverse, donc essayer de voir toutes les décisions qui sont prises, de s’assurer que la sécurité soit prise en ligne de compte, que le projet du conjoint, mais aussi un point très important c’est que la fiscalité du salarié, la fiscalité personnelle, soit prise en compte. Donc, on s’explique : un mauvais choix de visa peut avoir un impact sur la couverture médicale.
EM : Ouf !
MG : Le pays d’accueil peut aussi avoir un… parce que la sécurité sociale a des affiliations, des ententes bilatérales avec certains pays et pas d’autres. Donc voilà, il ne faut pas que faire la démarche de couverture santé séparément. Pour ce qui est de la fiscalité, l’entreprise prend le temps de regarder le package de rémunération optimale pour la fiscalité de l’entreprise. Le départ, et le statut d’expatriation du salarié, ont un impact sur son patrimoine personnel. Lorsque l'entreprise prend le temps d’offrir une consultation avec un fiscaliste international en amont du départ, cela évite des frustrations à terme et voire des impôts personnels à payer en surplus, et cela permet aussi au salarié de réfléchir sur un aspect qu’il a tendance à un peu zapper au début quand il est en « lune de miel », juste avant son départ. Et le troisième point, on entend beaucoup parler des échecs de projet à l’international pour cause familiale : le projet du conjoint.
EM : Ah oui !
MG : Le conjoint est en droit, si je puis le dire comme cela, d’avoir un projet, qu’il soit professionnel ou personnel, et surtout de commencer à travailler sur ce projet-là avant le départ.
EM : Oui, donc, il y a une vraie dimension d’accompagnement humain dans votre activité en fait, quoi qu’il en soit.
MG : Tout à fait.
EM : Le bien-être ; la réalisation de chacun.
Donc, OK. Quelles seraient les similitudes entre la sélection d’un salarié pour un projet d’expatriation et un recrutement ?
MG : Alors, le recrutement à l’international d’un profil à avoir dans son pays, la seule différence c’est que dans ce cas-là on ne connait pas le salarié et le salarié ne connait pas l’entreprise. Donc, la sélection se fait mais après il y a l’intelligence culturelle et puis il y a aussi le fait que, dès lors que l’on rentre sur un pr,ojet international, la sphère professionnelle et personnelle, les deux se rapprochent plus que dans un pays local. Donc c’est vraiment super important de prendre en compte l’ensemble des critères que cela soit un expatrié ou un futur salarié recruté à l’international.
EM : D’accord.
Donc beaucoup d’attention pour l’humain, beaucoup de bien-être, si j’essaie de reprendre un peu tout ce que nous avons vu. Pour l’entreprise le retour sur investissement d’un projet, ou d’expatriation ou de recrutement local, ce sont deux approches possibles, passe tout d’abord par l’évaluation, l’impact du manque de compétence de l’entreprise internationale, ça cela va de soi. Un calibrage humain des actions à mettre en œuvre, mais règlementaires également, vous l’avez cité avec la fiscalité et tout le reste.
MG : Très important.
EM : Une vision d’ensemble, donc là on est dans la stratégie d’entreprise, donc je pense effectivement que c’est important de le signaler, pour sécuriser les contraintes administratives et règlementaires, mais aussi les risques émotionnels de l’humain. Et je reprendrai votre phrase pour conclure : « anticiper et tout contrôler pour une arrivée, un séjour et un retour, sans détour. »
MG : Tout à fait !
EM : Je vous remercie.
MG : Merci.